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CR 11 2024
De Nantes à Nevers.
C’est aux premiers jours du printemps, alors que la nature sortait à peine de l’hiver, que l’idée de ce voyage a germé. Mon fils était en stage à Nantes pour cinq mois jusqu’au début août, et j’esquissais alors rapidement une boucle de quatre jours entre Normandie et Bretagne. Puis, comme un bourgeon qui éclate et se déploie, ma boucle s’est ouverte. Une arrivée d’abord planifiée à Angers qui, sous la pression d’une cinquième journée et d’une ambition un peu folle, fût rapidement projetée d’un seul coup d’un seul jusqu’à Nevers !
Les planètes s’alignaient l’une après l’autre, de façon tellement naturelle et pourtant improbable, tant sur le plan professionnel que personnel et familial. Même la météo, plutôt maussade les jours précédents, s’ouvrait sur une fenêtre de temps variable mais sec, retenant juste un petit risque de pluie dans la soirée du mardi.
Le dimanche 4 août je partais en voiture pour Nantes, avec pour tout bagages mon vélo, mon équipement de cycliste et mes sacoches de bikepacking.
Jour 1, 193Km, 1500m D+
En ce lundi matin je laisse mon fils se rendre à son bureau pour sa dernière semaine de stage, et je donne le premier coup de pédale de ce périple de cinq jours. Comme on sort d’un labyrinthe en laissant glisser sa main sur un mur, c’est en laissant glisser mon regard sur l’eau que je sors de Nantes. Ce n’est pas la Loire, mais l’Erdre, paisible rivière égarée dans le tumulte de la ville. Cap au nord, guidé par l’archange St-Michel !
Je n’avais pas voulu suivre sur mon tracé les méandres d’une voie verte ; alors, c’est en empruntant des pistes cyclables le long de grands axes routiers que je m‘échappe. A mesure que le maillage des routes et des habitations se desserre, le ciel gris s’éclaircit et se craquelle.
C’est à Sucé-sur-Erdre, 20Km plus au nord, que je trouve enfin le calme. Une brise à peine perceptible étire l’air et fait tourner quelques éoliennes au rythme d’un tour par minute. Je ne suis en vacances que depuis deux jours, mon esprit bouillonne encore, cette première journée suffira à tout apaiser.
De la traversée de Châteaubriant je ne verrai qu’une église surplombant la ville ; le temps d’une petite pause et je repars dix minutes plus tard au milieu des champs et des prairies. Il est 12h30 quand j’arrive à Jangé sous un ciel maintenant parfaitement dégagé. A l’ombre de la bibliothèque municipale, sur un banc devant la place de l’église, je savoure le pique-nique acheté au départ.
Quand je reprends mon vélo, le soleil est presque écrasant sur des routes rectilignes qui traversent la campagne à peine ridée. J’avais soigneusement tracé mon itinéraire pour éviter Rennes, et seuls les pavillons récents dans des villages reliés par des routes élargies témoignent de la proximité de la préfecture de l’Ille-et-Vilaine. Laurent me dira en commentaire que je suis passé tout à proximité de son village d’enfance ! Quelques dizaines de kilomètres plus loin le paysage change, se fait moins agricole, devient plus champêtre. Des pentes plus soutenues ouvrent à leur sommet un espace dégagé vers le nord. Je scrute l’horizon, mais ne vois toujours rien. C’est à Vieux-Viel, au sommet d’une courte côte, que la merveille apparaît ! Posée sur l’horizon, voilée dans une légère brume, la silhouette du Mont-St-Michel. Une dernière descente, quelques kilomètres pour rejoindre Pontorson, et me voilà à destination. Une auberge où j’ai réservé dans un dortoir une simple
couchette fermée par un rideau. Changer de rythme, retrouver un peu de simplicité, savourer le temps qui passe, c’est cela que je recherche avant tout dans ces voyages à vélo.
J’avais prévu de me reposer et de passer au Mont-St-Michel le lendemain matin. Mais en échangeant avec le gérant, il me conseille de prendre un pique-nique et d’aller au Mont après 20h. La foule des touristes aura vidé le lieu, et un son et lumières est proposé dans l’abbatiale à partir de 22h.
Peu avant 20h je reprends mon vélo. La lumière du soleil déclinant vers l’ouest est plus douce et la voie verte qui longe le Couesnon bien reposante ; je réalise que je suis déjà en Normandie. En point de mire, majestueux et tellement beau, je m’approche doucement du Mont-St-Michel. Comment un assemblage de fortifications et d’habitations emboîtées, construit au fil des siècles sur un rocher et surmonté d’une abbaye, a t’il pu édifier ce lieu tellement extraordinaire ? Depuis que l’on rejoint le Mont par une passerelle par dessus le sable, le Couesnon ou la mer, il a pris encore une autre dimension.
Comme on franchirait une porte dans l’espace-temps, j’entre dans le Mont. Baigné par la lumière orangée du couchant, léger comme un goéland qui s’envole du bleu de la mer, plane dans le bleu du ciel et se pose sur les pierres vieillies, je parcours le Mont. Quand une heure plus tard je franchis à nouveau la passerelle, je reviens au présent et grave en ma mémoire cet instant éternel.
Jour 2, 142Km, 1350m D+
Après un petit-déjeuner varié et copieux, j’entame ma deuxième étape. L’ambiance est bien différente quand ce matin je refais une partie du chemin vers le Mont. Sous le ciel gris et bas qui l’enveloppe presque, le Mont se recueille comme un capucin en prière. Au niveau de la passerelle mon itinéraire bifurque sur une route touristique à travers les prés salés. Je vois au loin le rocher de Tombelaine, je me retourne de temps à autre pour jeter encore un regard sur le Mont, presque discrètement pour ne pas le déranger, et je le vois s’effacer peu à peu.
Sans transition, je me retrouve soudain dans la circulation en m’approchant d’Avranche. Une bonne côte me fait m’élever à 100m au dessus-de niveau de la mer, sans pour autant m’offrir un point de vue sur la baie. Le temps d’une courte pause devant une large esplanade et je redescends rapidement en quittant la ville.
Sauf à faire de longs détours, je n’avais pas eu d’autre choix en traçant mon parcours que d’emprunter des axes assez fréquentés. Sans surprise donc, sur la route vers Villedieu-les-Poêles, le flux des voitures et des poids-lourds est régulier tout en restant supportable. Un soleil timide m’accompagne quand j’approche de cette cité connue pour son artisanat du cuivre et sa fonderie de cloches. Mais je n’ai pas trouvé la rue principale bordée de boutiques touristiques dont j’avais le
souvenir, et c’est au milieu d’une circulation assez désordonnée que je me fraye un chemin en suivant la trace sur mon GPS.
Au sortir de la ville je m’enfile entre deux talus sous la voûte d’une haie bocagère. Quel bonheur de musarder sur une vingtaine de kilomètres, alternant les passages creusés et bordées de haies, les fermes et petits hameaux aux vielles maisons authentiques, et en découvrant parfois sur un point de vue tout un patchwork de champs et de prés, bien mal mis en valeur aujourd’hui sous la grisaille qui s’épaissit.
A Pont Farcy je reprends la route principale et trouve de quoi me restaurer pour la pause de midi. J’attaque l’après-midi par une côte de 150m de dénivelé avant d’alterner une série de vagues figées dans la pierre. Au sommet, la vague suivante m’apparaît d’abord comme un mur, s’aplatit à mesure que je m’enfonce dans le creux, et se laisse gravir en quelques minutes à peine. Le ciel prend des airs plus menaçant, quelques gouttes rafraîchissantes s’en échappent parfois, la pluie n’est annoncée qu’en fin d’après-midi.
Sans y être jamais passé, des noms pourtant familiers commencent à apparaître sur les panneaux routiers : Caumont-l’Eventé, Tilly-sur-Seulles, Bretteville-l'Orgueilleuse… Je m’attends bientôt à parcourir une des routes que j’empruntais il y a bien longtemps. Pourtant, il me faudra attendre le village de Thaon, à peine à 10Km de mon village Normand, pour me rappeler que je préférais le bord de mer et ne m’aventurais que très rarement à vélo à plus de 10Km ou 15Km de chez moi.
J’arrive et je retrouve mes deux soeurs, juste quelques minutes avant qu’une bonne averse se déclenche. En début de soirée le soleil réapparaît, nous prenons la voiture pour une petite promenade en bord de mer.
Jour 3, 120Km, 900m D+
Je dis au revoir à mes soeurs, je les reverrai ici même dans quelques jours pour nos vacances familiales, en voiture cette fois.
Le ciel est partagé entre des nuages encore envahissants et quelques petits recoins de bleu. Je fais un détour par Cabourg, pour une visite chez des amis grenoblois qui passent justement une semaine de vacances dans cette belle station balnéaire.Je connais bien la route, par le pont de Bénouville qui fut à honneur le 6 juin lors des cérémonies de commémoration du 80ème anniversaire du débarquement.
Quand j’arrive, mes amis sont surpris en voyant la taille de ma « valise », alors que pour une semaine de vacances avec leurs deux filles, leur voiture était pleine ! Nous nous quittons une heure plus tard, merci à eux d’avoir immortalisé cet instant de mon passage à vélo sur la Côte Fleurie.
Cela faisait quelques années que je voulais réaliser le trajet entre notre maison près de la mer et celle de mon frère dans l’Orne. A peine 100km en voiture, 120Km de vélo aujourd’hui avec le détour par Cabourg, qui me permet d’éviter la traversée assurément pénible de Caen.
Je me dégage de la circulation le long du littoral en longeant les marais de Varaville, qui furent témoins en 1057 d’une bataille de Guillaume le Conquérant. Puis je traverse quelques villages gonflés d’importantes zones pavillonnaires avant de retrouver les larges étendues agricoles de la plaine de Caen. Hormis quelques petits villages encore préservés, cette plaine n’a pas trop de charme.
A Falaise je retrouve Guillaume-le-Conquérant et prends mon pique-nique au pied de l’imposante muraille du château, à défaut d’avoir pu trouver l’entrée touristique du lieu. Ensuite, bien que la route s’élève progressivement, c’est encore un paysage largement composé de champs déjà moissonnées que je traverse sur une vingtaine de kilomètres. Je découvre la petite cité d’Ecouché, charmant petit village à l’entrée duquel je traverse l’Orne pour la seconde fois, après l’avoir
traversée ce matin à Bénouville, quelques kilomètres avant son embouchure dans la Manche à Ouistreham.
Les arbres qui avaient presque totalement disparu du décor refont leur apparition, sous forme de haies ou de bosquets. Mon frère est venu à ma rencontre sur son VAE et nous faisons ensemble les derniers kilomètres, en empruntant cette petite route dont je ne me lasse pas, qui part de St-Christophe-le-Jajolet et passe devant le château de Sassy.
Après un moment passé avec mon frère et ma belle-soeur, je sens bien que quelque chose me tracasse. J’ai prévu le lendemain d’aller en Sologne d’une seule traite, soit un trajet de 230Km ! Outre la distance qui m’inquiète un peu, je n’ai toujours pas pu contacter ni l’hôtel restaurant ni la chambre d’hôtes où j’aurais pu loger. Si je décide d’effectuer cette étape sur deux jours, je devrai néanmoins être de retour à Grenoble le vendredi soir. Quelques minutes de recherche et je déniche un train à 12h30 à Lamotte-Beuvron qui me permettra de prendre à Bourges celui dans lequel je devais monter à Nevers. Je trouve un Airbnb à Bonneval, je n’aurai alors demain qu’une étape de 140km, et les 100Km restants vendredi dans la matinée. Je suis soulagé et peux dès lors profiter pleinement de cette bien agréable soirée.
Jour 4, 136Km, 1150m D+
Aucun bruit pour me réveiller dans cette grande maison qui n’était que quatre murs et un toit il y a un peu plus de dix ans. Mon frère a réalisé la plus grosse partie des travaux et arrive bientôt au bout de leur projet, une belle réalisation en tout cas !
J’ai tout mon temps ce matin puisque je dois être à Bonneval pour 17h. Il est 10h quand je dis au revoir à mon frère, direction Mortrée à 10km. Là, j’attache mon vélo et entre dans la mairie où se trouve également le bureau de poste. Ma belle-soeur tient le guichet et je lui avais promis de passer la voir sur mon chemin.
La suite de l’étape va me promener à travers la région naturelle du Perche, un territoire de collines et de larges forêts qui, loin des grands axes de circulation, a su conserver le charme d’antan. A Sées, qui s’annonce de loin par les deux flèches de sa cathédrale, je rejoins l’itinéraire que mes parents empruntaient en 2CV pour nous emmener passer quelques jours en Sologne chez nos grand-parents. Je traverserai ensuite les villes de Essay, Le Mêle, Bellême, Nogent-le-Rotrou et Brou, chapelet que nous récitions par coeur quand, un peu plus tard, nous nous rappelions les directions à suivre.
Mon itinéraire, composé sur OpenRunner en mode « cyclisme sur route », me fait éviter les sections non goudronnées de la Véloscénie. Mais cette région regorge de routes désertes et une grande partie de ma journée se déroule entouré de forêts ou perdu au milieu de parcelles agricoles séparées de haies. Des quelques villages traversés je retiens celui de la Croix-du-Perche où une église m’invite à venir admirer sa voûte à charpente peinte, et le remarquable château à l’entrée du bourg de Frazé.
Je quitte le Perche à Brou et entre alors dans la vaste plaine de Beauce. Il est 16h, le soleil est encore haut et chaud, les 15Km qui me séparent de Bonneval sont rapidement avalés. Le Loir s’écoule autour des fortifications du centre historique de la ville, et mon appartement donne sur un canal où des touristes font un tour en barque. Je visite à pied les vielles rues, je prends mon repas dans une crêperie et je rentre rapidement.
Jour 5, 110Km, 400m D+
Tout autant attendu que le Mont-St-Michel, le village de Souvigny-en-Sologne est le second temps fort de ce voyage. Sans trop savoir pourquoi, ce lieu tient une place importante dans mes souvenirs d’enfance et c’est avec émotion que j’y suis repassé à quelques reprises ces dernières années.
Les dernières étoiles viennent tout juste de s’éteindre dans les lueurs de l’aube quand je m’esquive de Bonneval. Une courte grimpée me hisse au niveau de la plaine où je me retrouve seul entouré de champs à perte de vue. Dès qu’un clocher émerge devant moi, j’accroche dessus mon regard pour me tirer jusqu’au prochain village. Et de village en village, à bonne allure, je diagonalise la Beauce en moins de deux heures.
A la périphérie d’Orléans, les premières habitations succèdent aux bâtiments commerciaux et industriels, et je suis aveuglément la trace de mon itinéraire dans les rues où les pistes cyclables s’arrêtent aussi subitement qu’elles ont commencé. Du centre-ville je débouche rapidement sur la Loire, qu’une passerelle accolée à un pont routier permet de traverser en toute sécurité.
Je m’attendais à entrer rapidement en Sologne dès le fleuve franchi, mais ce n’est que 20Km plus au sud, à la sortie de Marcilly-en-Vilette, que le paysage se transforme. Des forêts de plus en plus importantes se dressent de chaque côté de ma route, des allées sablonneuses mènent à des propriétés cachées par les arbres, des palissades ou grillages signalent un domaine de chasse privé, fougères et bruyère tapissent la lisière des bois. Je traverse Sennely qui, avec ses maisons de briques rouges et de pierres blanches, a déjà des airs de Souvigny, sans en avoir le cachet.
J’arrive à Souvigny avec presque quinze minutes d’avance sur mon horaire. Je fais le tour de la place de l’église et découvre que l’hôtel restaurant « Le Souvignot» où j’aurais pu réserver une chambre est fermé.Je pose mon vélo à l’intérieur du magnifique caquetoire au devant de l’église,
juste en face de la maison de mes grand-parents. Celle-ci, transformée en chambres d’hôtes après que nous l’avions vendue, semble fermée également, tout comme le restaurant attenant « L’Auberge de la Grange aux Oies». Dans la belle lumière de cette fin de matinée, Souvigny ressemblerait presque à un village abandonné s’il n’y avait quelques rares personnes aperçues en voiture ou à pied. Je fais à vélo le petit tour qui mène à l’étang derrière le village, avant de partir très tranquillement vers Lamotte-Beuvron pour prendre mon train.
Mon périple s’achève ici, après 700Km et cinq jours à vélo.Je ne suis pas allé jusqu’à Nevers comme prévu, mon voyage s’en trouve amputé de 100Km, mais c’est le plaisir et la détente qui prime avant tout. Je viens de boucler mon troisième voyage depuis quatre ans, je commence déjà à penser au prochain !
Itinéraire de mon périple:
- François.